jeudi 22 janvier 2009

extrait de journal intime


VENDREDI 9 OCTOBRE 1942
Chère Kitty,
Aujourd’hui, je n’ai que des nouvelles sinistres et déprimantes à te donner. Nos nombreux amis juifs sont emmenés par groupes entiers. La Gestapo ne prend vraiment pas de gants avec ces gens, on les transporte à Westerbork, le grand camp pour juifs en Drenthe, dans des wagons à bestiaux.
Miep nous a parlé de quelqu’un qui s’est échappé de Westerbork. Westerbork doit être épouvantable. On ne donne presque rien à manger aux gens, et encore moins à boire, car ils n’ont de l’eau qu’une heure par jour et un W.C. et un lavabo pour plusieurs milliers de personnes. Ils dorment tous ensemble, hommes, femmes et enfants ; les femmes et les enfants ont souvent la tête rasée. Il est presque impossible de fuir, les gens du camp sont tous marqués par leurs têtes rasées et pour beaucoup aussi par leur physique juif.
S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est-ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ? Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; c’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide.
Je suis complètement bouleversée. Miep raconte toutes ces horreurs de façon si poignante, elle est elle-même très agitée. L’autre jour, par exemple, une vieille femme juive paralysée était assise devant sa porte, elle attendait la Gestapo qui était allée chercher une voiture pour la transporter. La pauvre vieille était terrifiée par le bruit des tirs qui visaient les avions anglais et les éclairs aveuglants des projecteurs. Pourtant Miep n’a pas osé la faire entrer, personne ne l’aurait fait. Ces messieurs les Allemands ne sont pas avares de punitions.
Bep n’est pas très gaie non plus, son fiancé doit partir en Allemagne. Chaque fois que des avions survolent nos maisons, elle tremble que leur cargaison de bombes, qui va souvent jusqu’à un million de kilos, ne tombe sur la tête de Bertus. Des plaisanteries du genre : il n’en recevra sans doute pas un million et une bombe suffit, me paraissent un peu déplacées. Bertus est loin d’être le seul à partir, tous les jours des trains s’en vont, bondés de jeunes gens. Lorsqu’ils s’arrêtent à une gare en trajet, ils essaient parfois de se glisser hors du train et de se cacher ; un petit nombre d’entre eux y réussit peut-être. Je n’ai pas fini ma complainte. As-tu déjà entendu parler d’otages ? C’est leur dernière trouvaille en fait de punition pour les saboteurs. C’est la chose la plus atroce qu’on puisse imaginer ? Des citoyens innocents et haut placés sont emprisonnés en attendant leur exécution. Si quelqu’un commet un acte de sabotage et que le coupable n’est pas retrouvé, la Gestapo aligne tout bonnement quatre ou cinq de ces otages contre un mur. Souvent, on annonce la mort de ces gens dans le journal. À la suite d’un « accident fatal », c’est ainsi qu’ils qualifient ce crime. Un peuple reluisant, ces Allemands, et dire que j’en fais partie ! Et puis non, il y a longtemps que Hitler a fait de nous des apatrides, et d’ailleurs il n’y a pas de plus grande hostilité au monde qu’entre Allemands et juifs.
Bien à toi,
Anne




caractéristique du journal intime

Un journal intime (ou personnel) est un écrit élaboré au fil du temps, et qui s'intéresse avant tout aux sentiments, pensées et aventures intimes du « diariste » (ainsi appelle-t-on la personne qui tient un journal intime, néologisme proposé par Michèle Leleu en 1952). Il peut ainsi évoquer des périodes variées de l'existence (maladie, travail, guerre, deuil, amours...)

Il est destiné à être gardé secret, soit dans l'immédiat (pour quelques mois ou années), soit définitivement (le diariste n'écrit alors que pour lui-même : à terme il détruira son œuvre ou en demandera la destruction). Il peut aussi être transmis à un fonds de conservation, tel que le propose l'Association pour l'Autobiographie. La lecture pourra alors en être autorisée ou interdite, selon les souhaits de l'auteur.


Quelques diaristes:


Samuel Pepys (1633-1703)
Bashō (1644-1694)
Benjamin Constant (1767–1830)
Rahel Varnhagen (1771-1833)
Jean-Baptiste Renoyal de Lescouble (1776-1838)
Stendhal (1783-1842)
Anne Lister (1791-1840)
George Sand (1804-1876)
Henri-Frédéric Amiel (1821-1881)
Lewis Carroll (1832-1898)
Léon Bloy (1846-1917)
Jules de Goncourt et Edmond de Goncourt (1851-1896)
Marie Bashkirtseff (1858-1884)
Jules Renard (1864-1910)
André Gide (1869-1951)
Paul Léautaud (1872-1956)
Victor Klemperer (1881-1960)
Charles Du Bos (1882-1939)
Virginia Woolf (1882-1941)
Franz Kafka (1883-1924)
Katherine Mansfield (1888-1923)
Ernst Jünger (1895-1998)
Joseph Goebbels (1897-1945)
Mireille Havet (1898-1932)
Julien Green (1900-1998)
Raymond Queneau (1903-1976)
Anaïs Nin (1903-1977)
Mihail Sebastian (1907-1945)
Tereska Torrès (ca. 1921)
Hélène Berr (1921-1945)
Anne Frank (1929-1945)